Table ronde 3 : S’engager avec les « migrants »


Organisateur:

CCO – Fernanda LEITE, directrice

 

Co-organisateurs:

Centre Européen des Etudes Républicaines (CEDRE) dirigé par l’historien Olivier CHRISTIN

Université Lumière Lyon 2

Participants :

 

Cedric VAN STYVENDAEL – Directeur général d’Est Métropole Habitat[1], mission « accueil » à Villeurbanne

Fernanda LEITE – Directrice du CCO à Villeurbanne, projet Palimpseste[2]

Prune MARZLOFF – CAO Forum réfugiés – Cosi[3]

Vincent VESCHAMBRE – Directeur du Rize – Centre Mémoires & Société

Sarah MEKDJIAN – Maîtresse de conférences en géographie à l’Université de Grenoble-Alpes, en recherche avec des migrants autour de la carte[4]

Francesco GARUFO – Maître assistant en histoire à l’Université de Neuchâtel, spécialiste de l’histoire des migrations

Cette table ronde a eu lieu le samedi 18 novembre 2017 de 15h à 16h30 au Rize – Centre Mémoires & Société – à Villeurbanne. Le colloque s’est centré autour de la notion d’engagement civique voire de militantisme envers les migrants. Alternativement, chacun des participants s’est vu donner la parole par Vincent VESCHAMBRE en commençant par Prune MARZLOFF puis Fernanda LEITE suive de Cedric VAN STYVENDAEL, de Sarah MEKDJIAN et enfin Francesco GARUFO. Tour à tour, chercheur.e.s, praticien.ne.s, associatifs/ves et engagé.e.s expliciteront leur.s expérience.s autour des modalités d’engagement.

Tout d’abord, Prune MARZLOFF nous présente le CAO Forum réfugiés – Cosi situé à Villeurbanne. Cet organisme est un hébergement de premier accueil proposé aux hommes demandeurs d’asile ayant un long parcours migratoire dans des conditions extrêmement précaires. Ce logement social était, à l’origine, conçu pour une situation d’urgence à l’égal des autres centres d’accueil et d’orientation en France. En effet, la fermeture de ce lieu était prévue pour la fin juin 2017, or à ce jour, ce centre est toujours ouvert aux vues des fortes demandes. Un CAO en général est une sorte de SAS d’entrée, comme nous l’a présenté Prune ce samedi, pour les demandeurs d’asile en France. Ces centres sont gérés par l’Etat et ce sont les préfectures qui choisissent les personnes qui peuvent accéder à ces CAO ; même si, comme a pu nous le répéter Prune, il  n’existe aucune sélection des personnes cherchant à y entrer, sauf peut-être le sexe puisque ce CAO de Villeurbanne, par un souci de facilité d’organisation, n’accepte que des hommes.

L’association Forum réfugiés – Cosi possède, d’après Prune, « une réelle volonté de faire-valoir et de porte-parole pour les hommes demandeurs d’asile. De là, la jeune chargée d’opération chez Forum réfugiés introduit le projet « L’autre Soie » qu’elle partage avec Fernanda LEITE qui prend alors la parole. Fernanda nous informe que c’est un projet urbain visant à construire un bâtiment social pour 2023 et qui permettrait une certaine redynamisation de ce terrain. En effet, la construction se fera grâce à l’utilisation d’une parcelle ayant elle-même un lourd passé d’industrialisation. L’Autre Soie est donc un projet urbain porté par le CCO mais aussi par le GIE Est Habitat.

Avec nous se trouve Cedric VAN STYVENDAEL, le directeur général de l’Est Métropole Habitat qui prend la parole à son tour pour nous expliciter les étapes de ce projet. L’Autre Soie vise à accueillir des personnes venant de loin à Villeurbanne tout en y mêlant les villeurbannais. A terme, ce bâtiment sera un espace où l’on y mêlera économique, social et culturel en passant de l’artistique au culinaire. Pour ce faire, ce projet comprend plusieurs phases déjà ou en cours de réalisation qui nous sont précisées par Cedric par la suite. La première phase fut de prendre contact avec les associations communautaires mais aussi avec celles spécialisées dans l’accueil. Avec cela, il fallut se documenter sur le sujet. Les protagonistes de ce projet ont pu tirer de cela un accueil positif de la part des associations mais aussi des citoyens ; « tout le monde travaille sur ce projet, toutes les disciplines, toutes les associations […] ». Cependant, est arrivée la deuxième phase, celle de la réflexion. Tout d’abord, le questionnement s’est centré particulièrement sur les termes « accueilli/accueillant » qui engendrent une posture dissymétrique. Comment en sortir ? Une première réponse en droit est proposé : Droit d’accès, les dires, formuler les réponses à l’aide de lois. La seconde réponse se concentre non sur de le migrant mais sur la personne « qui vient de loin sous la contrainte » comme Cédric préfère le dire. Il faut considérer la personne non comme un objet de politique public mais comme un sujet humain et donc travailler avec et non sur lui.

Donc comment répondre à cela ? Comment construire un questionnement avec des termes appropriés sans en oublier les différentes dimensions en jeux (social, humain, solidaire, ect…) ? La réponse adéquate a été celle de l’engagement !

Enfin, le directeur d’Est Habitat insiste particulièrement sur le fait que ce projet est une coproduction citoyenne car il est basé sur quatre éléments : jury citoyen, un atelier design avec une politique publique pour résoudre les problèmes que ce projet rencontrera, un forum participatif et public ainsi qu’une mobilisation de tous les conseils, toutes les disciplines à Villeurbanne.

Ces trois acteurs, Fernanda LEITE, Prune MARZLOFF et Cedric VAN STYVENDAEL font parties des praticiens et des engagés. Ils ont pu nous présenter leur projet social. D’un autre côté, Sarah MEKDJIAN, maîtresse de conférences en géographie à l’Université de Grenoble-Alpes, nous apporte un aspect plus théorique lors de cette table ronde.

Sarah nous signifie que chacun avons un rôle dans ce qui nous arrive collectivement. En effet, depuis octobre 2015, certaines universités françaises propose un programme d’accueil. La maîtresse de conférences en géographie s’appuie sur deux exemples :

  • L’Université de Paris 1 possède un programme d’accueil aux « réfugiés » qui peuvent suivre des cours de français langue étrangère (FLE) qui permettent aux personnes étrangères une meilleure intégration de ces derniers dans une société qui leur est elle-même étrangère. Ceci n’amène pas à un diplôme mais elles sont accessibles à tout le monde.
  • L’Université de Grenoble-Alpe dispose d’un programme ouvert à ce public financé, non pas par le Quatar comme le sont les cours de FLE, mais par l’agence universitaire de la Francophonie (AUF) qui est une organisation non gouvernementale (ONG) financée à partir d’une plateforme participative qui se nomme « Cocorico ». L’Etat y est donc totalement désengagé.

Sarah MEKDJIAN, après nous avoir présenté les actions faites par l’Université Grenoble-Alpes, nous expose son propre projet en tant que professeur universitaire. En effet, son but est de cartographier les parcours de migrations autour de la notion de frontière. « Cartographies traverses » est un projet participatif puisqu’il réunit douze demandeurs d’asile, deux chercheuses en géographie (Sarah MEKDJIAN et Anne-Laure AMILHAT SZARY, Université de Grenoble) ainsi que quatre artistes. Cependant, Sarah nous explique qu’il a été très difficile d’établir une certaine égalité ne serait-ce, tout d’abord, l’inégalité des revenus. En effet, l’université refusait de rémunérer les migrants car, qui dit université dit institution publique, Etat. Cela a donc pu être possible en passant par une association qui les a rémunérés. Tout ce projet a permis une exposition à Aix-en-Provence et a été un moment de partage et d’échange où les personnes venant de loin ont pu s’exprimer et mettre sur papier les sentiments, leurs peurs lors de leur.s voyage.s.

Pour finir cette table ronde, voici le tour de Francesco GARUFO, maître assistant en histoire à l’Université de Neuchâtel mais aussi considéré comme un spécialiste des migrations. Francesco commence son discours en affirmant qu’en Suisse, la question migratoire est toujours actuelle entraînant la question de la représentation des migrations et alors la question de l’image. Ces questions sont des réalités de terrain où il existe une forte distinction entre Nous et les Autres. Les images participent grandement à la construction d’une réalité sociale. En Suisse, il existe, de par l’utilisation de l’image, une criminalisation de la figure des migrants. Pour nous exprimer son propos, l’historien expose à l’écran des affiches présentées lors de l’exposition « L’étranger à l’affiche : identité et altérité dans l’affiche politique suisse (1918-2010) »[5] à laquelle il a participé avec Christelle MAIRE (Swiss Forum for Migration) entre 2013 et 2015, sur l’image des migrants en Suisse.

A partir des années 80, c’est là que l’on peut voir une séparation importante. En effet, les affiches deviennent plus explicites, plus violentes dans leurs discours. Cependant, Francesco nous informe que les personnes souffraient d’une certaine habitude à voir ces discours visuels et ces images donc arrêtaient de se poser des questions. Cependant, en 2009-2010, c’est là que la question de l’admissible s’est posée. Qu’est ce qui est admissible au grand public ? Que pouvons-nous exposer ? Quelles en sont les limites ? Qu’est-ce que le grand public est en capacité de voir ?

Chacun des participants à cette table-ronde sont intervenus, vient alors le moment des questions où plusieurs points ressortent :

  • L’Etat pratique, selon l’un des acteurs du colloque, une politique xénophobe d’une part. La demande d’asile ne se fait qu’individuellement, nous ne pouvons créer une demande d’asile que pour une seule personne, ce qui permet l’invisibilisation des demandeurs d’asile ainsi qu’un problème d’équation d’Humanité. De plus, cette démarche va à l’encontre du collectif et donc de la solidarité.
  • L’Etat nation serait incapable de répondre à une « crise migratoire ».
  • En effet, ce seraient les territoriaux qui auraient réussi à mettre en place une aide dotée d’humanité où il y aurait un réel travail de « démocratie participante ».

[1] http://www.est-metropole-habitat.fr/innovation-sociale/notre-politique-dinnovation-sociale/

[2] palimpseste.autresoie.com

[3] http://www.forumrefugies.org/

[4] https://visionscarto.net/cartographies-traverses

[5] http://www.letrangeralaffiche.ch/home.php