Propos généraux sur la notion d'engagement


 Questionnements sur la notion d’engagement

Dans le cadre de la discipline "Sciences et société" ce semestre, nous avons été dirigées vers la structure du RIZE se situant à Villeurbanne. Durant cette année, cet organisme culturel a pour intérêt la notion d’engagement et plus largement, celle qui se réfère à l'engagement de l’individu dans la société. L’engagement est une thématique très large et qui, de par sa diversité de sens, nous ai difficile à saisir. Cependant, dans un premier temps, il faudrait tenter de définir les termes. De fait, qu’est-ce que ce terme signifie dans un contexte bien particulier ? Il va s'en dire que la réflexion de Jacques Ion en ce sens est d’un apport considérable à notre raisonnement. Tout d’abord, comment est-ce que nous nous engageons ? C’est-à-dire, quelles sont les modalités d’engagement ? A quoi celui-ci est-il par exemple opposé ? Dans notre société actuelle, quelle place occupe l’engagement, est-ce une notion présente et effective ?

Partons d’un premier constat à savoir celui de dire « il n’y a plus personne qui milite »[1] et tentons tout au long de ce raisonnement d’y répondre par la négative car il s’avère que nous ne nous engageons pas moins hier qu’aujourd’hui. Les modalités et les facteurs d’engagement sont mouvants au fil du temps et il est nécessaire de mettre en lumière cette notion et particulièrement dans le contexte social actuel, où cette notion ne cesse d’apparaitre comme nécessaire à comprendre.

 

La montée de l’individualisme et l’engagement : Deux notions reliées ?

Jacques Ion nous y répond : en effet, « l’individualisme contemporain serait la source d’un profond désintéressement pour la vie publique »[2]. Autrement dit, l’individu en société serait de moins en moins enclin à s’engager envers l’autre. Pour l'auteur, c’est l’individualisme qui viendrait contrer cette volonté d’engagement et quand bien même nous serions dans un « collectif » d’engagement, ce dernier ne serait que la « rencontre d’individualité venant en chercher d’autres qui pourraient leur ressembler, venant y confronter des identités jamais définitives, sans rôle préétabli » et selon Ion, ce serait la modernité qui serait la cause de ce constat. Nous entendons par modernité, l’avènement du processus de la globalisation, les avancées techniques entre autres, qui nous ont mené d’une certaine manière à uniformiser le monde, bien qu’il existe une diversité dans l’unité.

Ces temps modernes participeraient du façonnement d’un individu « singulier » qui ne serait donc en somme plus penser dans la pluralité, dans la société plurielle.

De ce fait, comment pouvons-nous réagir face à cette montée de l’individualisme au détriment de la solidarité ? Ici, la réflexion de Didier Lapeyronnie, à savoir « au fond, plus l’individualisme progresse, plus la nécessite et la difficulté de l’engagement se font sentir », l’engagement devient une solution pour éviter de tomber dans le travers de l’égoïsme.

Jusque-là, nous avons exploré exclusivement la notion d’engagement, mais celle-ci ne signifie pas que cela s'effectue de manière individuelle. Ici, il existe une nécessité de l’articuler à d’autres notions afin qu’elle prenne réellement un sens.

 

Un engagement par et pour les autres ?

Dès lors, qu’en est -t-il de notre rôle de citoyen en société ? Comment parvenons-nous à agir sur cette société ? Ainsi, pour Jacques Ion, cette modernité aurait mis en place un repli sur soi mais avec une nuance en ce sens que cet individualisme ne serait pas forcément la résultante d’un égoïsme et quelque part d’un égocentrisme. Mais avant tout, nous avons émis le terme de « citoyenneté », il nous revient donc de l’expliciter.

D’ores et déjà, et à l’instar de Jacques Ion, nous pouvons dire que cette notion est « l’objet de multiples discours » ; il n’existe pas un type de citoyenneté ou une manière d’être citoyen. Nous pouvons démultiplier les différentes catégories de la citoyenneté. Par ailleurs, cette dernière ne se réduit pas à un « état ou un statut », nous ne devenons pas simplement citoyen de manière législative car cela passe par d’autres modalités, comme la manière dont le citoyen est perçu par la communauté à laquelle il se sent appartenir. Enfin, cette dernière apparaît pour Ion comme déterminante dans notre manière d’agir en société  car comme il l’avance : « la construction de soi passe davantage par des pairs ». Cela n’est plus un étonnement, nous nous construisons au travers du regard de l’autre, c’est lui qui, d’une certaine manière, nous façonne, du moins socialement. Nous constatons, ici, que la notion d’engagement et de citoyenneté sont intrinsèquement liées. Par ailleurs, il n’est pas aisé de déterminer de manière quantitative les engagements ; cette donnée ne serait effectivement que partielle et partiale.

L’engagement dépend, entre autres, des mobilités géographiques et professionnelles.

Effectivement, au sein d’un collectif, chacun des membres se pensent ensemble. Nous ne décidons pas seul, les décisions se prennent collectivement, nous sommes en quelque sorte au sein même d’une structure associative, dans un processus de négociations avec les membres. Nous devons être à la fois présents et efficaces sur le terrain mais aussi dans la structure associative. C’est ici que le terme de « multi-positionnalité » nous apparaît comme important et surtout porteur de sens.

Cependant, il n’en demeure pas moins que les associations, de manière générale, apparaissent avec des objectifs de plus en plus précis. Une ligne de conduite prédéfinie apparaît pour ces dernières indispensable et se veulent également indépendantes, ce qui peut apparaître comme une difficulté sur le plan financier par exemple.

 

La multiplication des associations

Ici, la question est de savoir pourquoi assistons-nous, dans notre société, à une montée fulgurante des associations ? Pourquoi s’engager nous apparaît de plus en plus important ? Effectivement, les politiques menées par le gouvernement peuvent nous amener à ce constat car il existe une déception reliée à la politique qui amène de fait à sa « dévalorisation » et à contrario « une exaltation de la société dite civile et de l’associatif ». En effet, le système démocratique permet une confrontation de points de vue différents ; c’est là que nous allons rencontrer les « contradictions » de la société et les différents mouvements associatifs en sont les formes les plus explicites.

Ainsi, nous ne sommes plus dans une perspective qui tendrait à mettre en exergue un « abstentionnisme d’indifférence ». Bien au contraire, l’individu serait de cette manière de plus en plus engagé individuellement mais dans une collectivité, car la posture individuelle n’est pas un obstacle, ne constitue pas un frein pour aller vers l’autre, ces deux dimensions ne sont pas en opposition.

C’est ici que les propos de Jacques Ion prennent une signification : « l’engagement pour la cause publique n’est pas mort, voire n’a jamais été tant partagé » (p. 5). Cet individualisme nous pousse à nous rassembler et à former des structures associatives, ce dans un but commun, et plus encore, dans une direction commune, bien que les avis sur certaines questions peuvent diverger dans des contextes spécifiques. Mais ces engagements sont définis aussi sur un ensemble de valeurs qui ne sont pas nécessairement préalables à l’action mais peuvent intervenir durant celles-ci et se modifier perpétuellement.

Aujourd’hui, nous assistons de fait dans l’opinion publique, à une relative dévalorisation du politique et au contraire, à une exaltation de ladite société civile et de l’associatif.

 

La construction du collectif dans l’engagement associatif

Si, comme nous l’avons dit précédemment, l’engagement a pour source le collectif, nous nous devons de nous poser la question suivante  : Qu’est ce qui peut faire le collectif et surtout comment ce dernier se matérialise-t-il ?

La quantité de personnes n’est pas une donnée importante dans cette posture car pour atteindre une certaine visibilité, le nombre de personnes engagées n’est pas forcément un facteur efficient. Celui-ci peut s’élargir et ce de manière très rapide, par l’intermédiaire de ce que Ion dénomme « les nouvelles techniques de communication », par exemple, avec un intérêt plus accru pour la vitesse de réaction. Ainsi une communauté d’abord virtuelle, peut se muer en véritable collectif d’engagement de par la « mobilisation » massive que nous avons pu obtenir par l’intermédiaire de ces TIC.

 

Des engagements intergénérationnels : Des divergences qui s'instaurent ?

D’autre part, cet engagement est en lien direct avec les différentes classes d’âges et de générations qui y sont impliquées. Ainsi, selon Jacques Ion « plus les dirigeants sont âgés, moins les jeunes sont enclins à s’impliquer », c’est-à-dire qu’il existerait une difficulté d'entente entre les classes d’âges au sein de l’engagement, même si certains cas peuvent prouver le contraire.

Mais dès lors, quelle est la durée de notre engagement ? Comment prouver que nous sommes engagés ?

A ces interrogations, nous trouvons les réponses de Ion, en ce sens que pour ce dernier « l’espace des engagements » implique nécessairement trois critères : la durée , là où nous avançons que pour les classes les plus jeunes, nous assistons à des engagements variés mais courts ; l’intensité, c'est-à-dire l’implication que nous mettons dans cet engagement et enfin la sociabilité qui se matérialise par les lieux sociaux qui se dessinent entre les différents membres d’une association donnée.

 

Dans quelle.s mesure.s l’engagement fait-il sens dans nos trajectoires de vie ?

Par ailleurs, pourquoi s’engager et quelle en est sa signification ? N’est-elle pas en un sens subjective à chacun ? L’engagement, comme nous le rapporte Ion, n’est pas une projection hors de soi, mais c’est plutôt, et comme le disait Joseph, « [...] une façon de réagir aux différents mondes, mondes qui se façonnent au cours des expériences que nous effectuons ». L’engagement n’est pas une posture que nous adoptons du jour au lendemain car il se réfléchit et murie dans notre esprit au fil du temps et plus encore nous dirions au fil des expériences que nous acquérons. Cet engagement est quelque part une manière de réfléchir le monde, de le penser et de lui donner un sens. D'ailleurs, cela s’applique également sur le plan personnel car nous recherchons à la fois par ce biais, un sens au monde mais aussi un sens « à ce que nous faisons ».

En effet, l’engagement au sein d’un collectif passe également par des « émotions partagées collectivement », il existe donc une manière de ressentir collectivement et notre relation à l’autre, autrement dit celui auprès de qui nous nous engageons, est teintée de cette dimension intime car les affects sont ici exprimés de manière publique.

 

Un changement de paradigme

C’est en ce sens que nous pouvons dire que nous ne travaillons plus sur « autrui » mais plutôt avec lui. Nous co-agissons car les deux sont nécessaires à la construction d’une relation symétrique. En outre, il est important de rappeler que la dimension genrée est un critère à prendre en considération. En effet, si avant nous assistions à une situation qui voulait donner « aux hommes les affaires publiques, aux femmes la gestion du foyer », cela tend à être nuancé. Même si nous savons que les femmes se battent d’autant plus pour leur reconnaissance en tant que dirigeante d’une association par exemple, c’est en quelque sorte ici ce que l’on nommerait une « lutte pour la reconnaissance ».

C’est pourquoi nous nous posons la question de ce qui peut faire engagement et plus encore sur quels critères s’appuient l’engagement ? Quelles en sont les modalités ?

Il existe trois formes à prendre en considération, à savoir : « la confiance en soi, le respect et notamment le statut de salarié et les droits sociaux qui lui sont attachés ». Effectivement, cela peut être également dépendant des rôles que nous assumions dans la famille.

 

L’engagement : Une notion qui nous octroie une existence ?

Cela repose avant tout sur une définition sociale de l’individu qui se transforme : auparavant, les individus  apparaissaient comme abstraits, ils sont ainsi de plus en plus des individus concrets, qui doivent donc se définir dans des caractéristiques individuelles et personnelles. Ces qualités s’acquièrent tout au long de nos expériences en société, elles se matérialisent en un sens par ce que Luc Boltanski nomme les « épreuves existentielles » qui sont le fruit par exemple d’injustice ou de mépris, qui peuvent être des facteurs qui nous mèneraient à l’engagement au sein d’associations et de structures associatives spécifiques.

En effet, comme nous le rapporte Jacques Ion « l’estime de soi serait […] au centre des mobilisations contemporaines de la part d’individus toujours menacés d’humiliation » (p. 124). Autrement dit, tout ce que nous aurions éprouvés en société, et ce de manière péjorative, serait un facteur majeur de l’engagement au sein de structures associatives.

Pour finir , nous pouvons dire que la participation à un engagement peut impliquer diverses sphères comme par exemple celle qui est liée au politique, au social ou encore à l’économie. Ainsi, ces mobilisations ne s’effectuent pas de manière effective sur un temps court mais elles peuvent murir dans le temps, comme nous le démontre le cas de Mohamed Bouazizi en Tunisie avec notamment « un cri individuel qui s’est mue en une déclaration universelle » ; de micro-évènements peuvent se transfigurer en un évènement global et cette articulation nous paraît intéressante.

 

Identification et engagement : Deux notions intrinsèquement reliées ?

De cette manière, nous pouvons dire qu’il existe diverses manières de militer, et ce au travers de différentes sphères, mais aussi des motivations subjectives et individuelles, toujours dans une perspective de partage au sein d’un collectif. Nous pouvons donc voir que par la montée des engagements, la société fait preuve d’une certaine réflexivité : elle est sans cesse en train de réfléchir sur elle-même, à l’image de la métaphore d'un miroir. Cependant, c’est une société mouvante à laquelle nous avons affaire : ainsi, les valeurs, les principes de cette dernière ne cesse de fluctuer à mesure du temps et les « modèles qu’ont les enfants aujourd’hui ne sont pas [ceux] de leurs pères mais [ceux] de leurs pairs ». Il n'existe pas réellement d’identification aux engagements de nos anciennes générations, mais plutôt un engagement qui se veut en lien avec l’identification à un groupe déterminé. Par ailleurs, c’est à ce propos que nous pouvons ajouter que l’engagement n’est pas exclusivement "un" ; il peut être pluriel, ce qui amène le terme de « multi-engagement » dans notre raisonnement avec notamment une pluralité des rôles et des postures qui nous sont octroyés.

 

Une position multi-située qui amoindrie la qualité de l’engagement ?

En dernier lieu, nous pouvant nous demander si la multiplication des engagements engendre nécessairement un engagement moins impliqué, avec une relation plus distante à ce dernier. Effectivement, la multiplicité des engagements ne nous amènerait-elle pas à une diminution de l’intensité au sein de ce dernier ? Cela fait entrer en scène ce propos optimiste : S'il y avait la fin du militantisme « ce serait la fin de l’histoire, certes avec soubresauts mais les générations futures sauront prendre les nouveaux défis et ce dans leur domaine respectif ». Cet engagement s’établit aussi sur une confiance mutuelle entre les générations qui ne feront que renforcer l’engagement et par-delà la société.  

 

[1] Jacques Ion, S’engager dans une société d’individus, Paris, Armand Colin, coll. « Individu et société », 2012, 214 p., ISBN : 9782200275198

[2] Op.cit