Mai 68


Introduction

 

            Au cinquantième anniversaire des événements de mai 68, le département d’anthropologie de l’Université Lyon 2 et le Rize, à Villeurbanne, ont travaillé en partenariat afin de comprendre le mouvement. En tant qu’étudiantes de troisième année, nos recherches ont consisté en une enquête sur l’année à partir de rencontres avec différents acteurs présents sur Lyon et Villeurbanne. Cet article est une mise en dialogue entre les multiples témoignages, centré sur le rapport personnel des témoins avec l’engagement et leurs actions propres.

 

 

Rapport à la société et à 68

 

            En 1968, différents points de la société étaient questionnés. Rappelons que nous étions dans un contexte d’après-guerre et que le gouvernement, représenté par De Gaulle, était controversé sur différents points. D’après les témoignages recueillis, la population était fatiguée de la présidence en place et trouvait le gouvernement trop conservateur, inadapté à une nouvelle génération qui n’avait pas connu la guerre. Selon les témoins, le mouvement semblait impliquer toute une partie de la population ou seulement une partie de celle-ci. Pour l’un, tout le monde participait au mouvement, pour l’autre seulement les étudiants ou encore les jeunes travailleurs. “Nous on ne comprenait pas qu’ils nous parlent encore de la guerre, eux ne comprenaient pas pour 68 et nous en voulaient. Je pense que  68 était un ensemble contre la génération qui nous précédait, contre la société qui n’avait pas compris que les choses évoluaient. On se demande pourquoi ça a éclaté, mais c’était tout ça qui était sous-jacent, cette révolte des choses totalement idiotes. C’était des non-dits, une révolte interne qui a éclaté autrement,” nous dit madame H, jeune infirmière à l’époque. Ainsi, une incompréhension existait entre les différentes générations.

            Pour ne citer que lui, l’exemple du 22 mars démontre le tabou social autour des questions de la sexualité des jeunes. Il n’est pas anodin que l’une des origines de mai 68 trouve sa place dans un conflit de moeurs.

           

 

 

Source de l’engagement

 

            L’engagement de la population durant mai 68 trouve son origine dans différents facteurs. A l’exception d’un de nos témoins refusant de se considérer comme appartenant à un parti politique, les autres se disent orientés vers les partis de gauche et intéressés par les questions politiques. Les raisons de s’engager varient entre chaque témoin interrogé. On nous parle d’une sensibilisation précose aux questions sociales par l’éducation familiale (parents engagés dans des actions sociales, débats familiaux sur des questions politiques), ou par des activités extrascolaires comme le scoutisme. Le moment présent, dû au contexte particulier de 68, a amené une partie de la population à s’engager, pour des causes sociales et économiques personnelles. De plus, l’ampleur qu’a pris le mouvement était telle que des personnes non mobilisées intitialement l’ont intégré. Il est intéressant de constater que le mouvement a permis de réunir des personnes qui étaient engagées auparavant (engagement politique, religieux, social, …) et d’autres pour qui il constituait leur premier pas vers une forme d’engagement social. Pour monsieur S, c’était l’existence d’autres formes d’engagement qui a permis le militantisme de mai 68.

 

Je crois que ce qui caractérise le mouvement de mai 68 à Lyon au niveau étudiant, c’est comme la naissance d’une fleur, vous voyez, c’est une inflorescence, très naive, très spontanée, car je crois que ça rassemblait des tas de tensions dans la société qui étaient sous-jascentes mais n’arrivaient pas à s’exprimer. Je crois que beaucoup d’étudiants se sont avancés dans le mouvement de façon très naive, sans engagement constitué. Ils se sont retrouvés de fait dans un mouvement. Alors ensuite ils y ont contribué, mais plutôt d’un point de vue universitaire, c’est-à-dire en s’autocentrant sur l’université, en se demandant qu’est-ce qu’on peut faire pour améliorer le système universitaire que nous vivons ?

(Monsieur S, étudiant en sociologie à Lyon 2 en 68)

            Il y avait en 68 une volonté de changer les choses, de faire “éclater les carcans dans lesquels la société française se trouvait à l’époque,” nous dit monsieur S.

Les revendications étaient d’une part pour les étudiants de se faire entendre, de transformer le système universitaire, d’autre part pour les travailleurs d’obtenir des augmentations de salaire et de meilleures conditions de travail. Madame H gagnait 600 francs en 1966, pour 42 heures de travail par semaine.

            La représentation des événements et les engagements propres des sujets va conduire à des actions variées durant 68.

 

 

Actions engagées en 68

 

            On constate des actions différentes en fonction des statuts des sujets. Ainsi, les étudiants ont majoritairement milité par des manifestations. Les manifestations sont nombreuses et variées à Lyon. La manifestation du 13 mai est partie de la Bourse du travail à la place des Terreaux. Elle est décrite par  Monsieur D, travailleur à EDF lors des événements comme “une manifestation monstre”, très revendicative, violente dans ses propos si non dans ses gestes. Il indique avoir été très impressionné par le nombre de CRS présents. Pour lui le mot d’ordre était l’unité entre étudiants et ouvriers, désirée et instiguée par la CGT. A l’inverse, monsieur S dit que la CGT “ne pouvait plus nous (les étudiants) sentir. On était les diables qui venaient semer le souk chez les ouvriers, on se faisait recevoir à coup de barres de fer, ou de battes de base-ball. C’était le grand mythe de l’unité collective.”

La manifestation du 24 mai nous a été décrite par un autre témoin comme une “nuit extraordinnaire, l’apogée du mouvement”.

Même les écoles moins engagées dans le mouvement, comme la faculté de médecine, faisaient montre d’une forme d’organisation solidaire. Les étudiants préféraient ne pas avoir à se rendre à l’hôpital, par crainte de poursuites. Les étudiants blessés ont donc pu être pris en charge par des étudiants en médecine ayant placé des petits centres de soins dans la ville lors d’une manifestation mouvementée.

Il ressortait souvent dans les différents témoignages la volonté de créer une réflexion, un dialogue au niveau étudiant, avec la participation de  certains professeurs. Des groupes de travail et de réflexion ont ainsi été formés au sein de l’université Lyon 2, occupée depuis le début du mois de mai, ainsi que dans les écoles d’ingénieur de la région lyonnaise.

 

 

            D’autre part, les travailleurs ont majoritairement milité par des grèves, bien que des actions isolées soient rapportées. Nous avons ainsi l’exemple de madame H, qui de par sa fonction n’avait pas le droit de faire grève mais aidait les étudiants à se mobiliser. Son travail lui donnait accès à l’essence, en pénurie à l’époque, et elle la transmettait aux étudiants pour leur permettre de participer plus facilement au mouvement.

Après la manifestation du 13 mai, EDF GDF s’est rassemblé afin de se mettre d’accord sur l’organisation d’une grève. Les salariés étaient malgré tout présents sur leur lieu de travail afin d’assurer la sécurité et de réfléchir conjointement sur leur action. Monsieur D décrit l’ambiance comme festive, la hierarchie “jouant à la pétanque” avec les employés.

 

 

Rapports à l’engagement

 

            Le rapport à l’engagement diffère selon les témoins et leur définition personnelle de celui-ci. Ainsi, l’engagement a pu être décrit comme affectif, avec l’exemple de monsieur D qui retrouve amis et connaissances dans chaque manifestation à laquelle il participe. A l’inverse, pour deux témoins, l’engagement passe à la fois par l’action et la réflexion. “L’engagement c’est d’abord pour moi une action.  Je pense aussi qu’un engagement doit être mûri, et doit passer sous les fourches d’un raisonnement, ça ne peut pas uniquement être un mouvement émotionnel, l’engagement, parce que normalement ça s’inscrit quand-même dans une durée, même relative, mais dans une durée. L’affect fait partie de la situation, obligatoirement, mais il doit être raisonné, sinon, par passion, on peut aller dans des positions extrêmes qui sont négatives,” nous dit monsieur S. Pour monsieur M, étudiant à Grenoble lors des faits, l’engagement passe par la participation et la volonté de comprendre. “Quand on est dans la participation, on peut aller plus loin. Participer, c’est prendre la parole à un moment donné,” nous dit-il.

 

Conséquences sur la vie future

 

            Les impacts de mai 68 sont divers. Ont été obtenus des droits, comme les libertés syndicales, mais aussi des augmentations de salaire conséquentes et de conditions de travail.

Les relations hiérarchiques, comme entre élèves et professeurs, se sont vues transformées, avec un dialogue facilité. Monsieur S, devenu professeur par la suite, nous dit “moi je n’ai jamais pris la posture du professoral. J’étais plus comme un apport de connaissances.” On nous rapporte ainsi une façon d’être et de s’aborder différente. Il en est de même dans le milieu hospitalier, avec madame H devenue formatrice infirmière et décrivant des relations avec les stagiaires plus ouvertes au dialogue que ce qu’elle avait connu. “On les a considérés (les étudiants), et je pense que ça a été important,” ajoute madame H.

 

Nous avons cherché à comprendre l’évolution des formes d’engagement, mais nos témoins y avaient pour la plupart peu réfléchi. Malgré tout, l’un d’entre eux considére que les événements de mai 68 ne pourraient pas se reproduire, un autre pense que les étudiants semblent moins engagés qu’auparavant. Pour les autres témoins, il semblait ne pas forcément s’agir d’une participation moindre, mais de formes et de thématiques différentes telles que l’écologie. Il faut noter que ces témoignages ont été recueillis avant les revendications et actions étudiantes en cours depuis la passation de la loir ORE.

 

Conclusion

 

            Les événements de mai 68 ont eu un impact sur la société et ses individus qui se ressent encore aujourd’hui. Il était très intéressant pour nous de voir la représentation de l’engagement des sujets et son évolution jusqu’à nos jours.

 

“La meilleure façon de fêter mai 68 cette année c’est plutôt d’essayer de comprendre, quelles en sont les traces diffuses aujourd’hui. Le pire serait d’oublier.”

(Monsieur M)